jeudi 13 octobre 2011

Reportage : Deux indépendants au regard vigilant par Rafaël Primeau-Ferraro

De gauche à droite : Adib Samoud, Dominique Lagarde (journaliste) et Sanda Barboura


Lorsque vous tombez face à face avec Adib Samoud et Sanda Barboura c'est la première chose qui vous frappe : leur regard. Du moins, c'est ce que j'ai ressenti. Car si le nom qu'ils ont choisi pour la liste indépendante qu'ils présentent à Kélibia a quelque chose d'efficace, c'est qu'il permet de décrire le couple politique d'une façon assez précise.
Attelés à une table sur le toît d'un de ces populaires cafés situé près de la Kasbah, Sanda et Adib donnent l'impression de se compléter, autant dans leur vie personnelle qu'en politique, lorsqu'ils expliquent le programme de la liste indépendante qu'ils ont créée, Regards Vigilants. Toujours souriants et vifs d'esprit, les deux terminent les réponses de l'autre quand un élément important n'a pas été suffisamment détaillé à leur goût. Et leurs idées, ils prennent le temps de bien les décrire car elles représentent les raisons pour lesquelles les deux candidats se présenteront comme indépendants à l'élection plutôt qu'avec un gros parti.
Ce n'est pas qu'ils n'ont jamais songé à joindre les rangs d'une force politique déjà établie, au contraire, ils l'ont considéré. Toutefois, certaines situations ont fait en sorte qu'ils ont préféré faire cavalier seul. Par exemple, l'indifférence qu'ils ont perçus chez un trop grand nombre de partis et d'acteurs politiques majeurs lorsqu'a eu lieu l'incendie criminelle de la forêt Dar Chichou en juillet dernier. « Lorsqu'on a remarqué que les autorités et les principaux partis semblaient prendre ce feu à la légère, on s'est dit go, il faut y aller seul afin que l'on puisse défendre les idées qui nous tiennent vraiment à coeur » mentionne Adib en expliquant les raisons motivant la décision du couple.
Avant de poursuivre sur les principaux enjeux qui sont à l'avant-plan du programme de la liste qu'il a co-fondée, Adib nous a partagé quelques-unes de ses expériences personnelles qui l'ont fait connaître en Tunisie. Vétérinaire de profession, il a commencé, à partir de 2004, à être actif dans l'Internet en mettant sur pied une sorte de journal s'attardant aux nouvelles internationales et à l'économie équitable. En quelque temps, de plus en plus de personnes se sont mises à consulter ses articles et ses sujets commençaient à toucher d'une façon plus ou moins directe à la politique tunisienne. En 2007, la visibilité d'Adib a considérablement augmentée lorsqu'il a grandement contribué à mettre sur pied le Maghreb blog et que le site a diffusé une pléiade de photos et d'articles concernant la caricature du prophète Mahomet qui avait été dessinée deux années auparavant. « Cela avait créé un véritable buzz autour du site à un point tel que nous nous sommes retrouvés dans le Top 24 des blogues les plus consultés selon le classement Lonely Planet » raconte le principal intéressé.
Quelques temps plus tard, le blogue a cessé ses activités en raison d'un problème technique. Pas de chance pour son auteur, le serveur du site était canadien(!) et presque toutes les données ont été perdues. Cela a amené Adib à utiliser davantage Facebook et c'est à ce moment que ses commentaires étaient dirigés plus fréquemment contre le régime dictatorial en place à l'époque. Malgré son opposition connue contre le gouvernement, il n'a jamais été arrêté par les policiers ou tabassé comme certains autres de ses collègues. La raison étant « qu'il critiquait tout en restant subtile et qu'il savait jusqu'où il pouvait aller sans qu'il y ait de conséquences ». Bref, Adib n'a jamais voulu publier de messages qui auraient pu mettre la sécurité de sa famille en danger.
Lors de la Révolution de janvier dernier, il a été très actif sur les réseaux sociaux et ce fut surtout le cas au moment où un de ses amis aussi blogueur, Slim Amamou, a été arrêté autour du 7 janvier. « Au moment où Slim a été emprisonné, nous nous sommes dit qu'on ne pouvait plus arrêter, car si les faux discours de Ben Ali visant à satisfaire les manifestants venaient qu'à faire effet et à rétablir le calme, on se serait tous fait mettre en prison les uns après les autres ». Évidemment, cette éventualité ne s'est jamais produite et Slim Amamou a été libéré le 14 janvier avant que l'ex-président ne prenne la fuite pour l'Arabie Saoudite.
Si Adib n'a jamais été violenté par les forces de l'ordre, il n'en a pas moins été harcelé plus souvent qu'à son tour. Des enquêtes bidons ont été effectuées sur son compte et son téléphone était constamment sur écoute. Il raconte même savoir que ses conversation téléphoniques sont encore espionnées à l'occasion car il lui arrive d'entendre la voix de la « troisième personne » au bout du fil! Et ce qu'il y a de plus fascinant, c'est que le tout ne semble pas l'importuner outre mesure. Il raconte la situation avec un sourire en coin ainsi qu'un ton de voix et un regard qui transpire la bonhomie.

L'équipe de Regards Vigilants

Sa conjointe Sanda, avocate de formation ayant obtenue sa licence en France, a une attitude similaire et elle déballe avec autant de passion les priorités de Regards Vigilants. Le premier enjeu que les deux candidats soulèvent lorsque questionnés à ce sujet est l'environnement. « Il faut protéger l'écologie du pays ainsi que les sites archéologiques. Il n'y a pas suffisamment d'attention qui est portée sur ces sujets actuellement. La pollution représente un problème très sérieux, car en plus de contribuer à la détérioration de la santé de la population, cela détruit la nature à long terme» explique la première femme sur la liste du parti.
Au niveau de la religion, le parti estime que le concept de laïcité est certes intéressant, mais que le fruit n'est pas mur à l'heure actuelle. « Il est donc nécessaire d'introduire une référence à l'Islam comme étant la religion officielle de la Tunisie dans l'article premier de la future Constitution, tout en insérant une autre disposition garantissant la liberté de culte » selon Adib.
De plus, les deux indépendants estiment que la Tunisie post-révolution doit pratiquer un Islam ouvert et ils doutent que les partis religieux veuillent vraiment suivre cette direction. « La base électorale de ces derniers étant plus souvent qu'autrement très religieuse, un parti islamique tel que Ennahda, une fois au pouvoir, s'inspirerait immanquablement des principes de la religion pour rédiger des lois, ce qui serait néfaste pour la Tunisie » de renchérir Sanda.
La préservation des acquis de la femme ainsi une réforme de l'éducation dans l'objectif de rehausser la qualité des diplômes figurent également à l'agenda de Regards Vigilants.

Adib Samoud en pleine campagne électorale

Sanda et Adib demeurent confiants face au futur de la Tunisie, et ce peu importe le résultat du vote le 23 octobre. « Je ne crois pas que les gens vont opter pour les partis extrémistes, car tous désirent stabiliser le pays. Et oui, je demeure positif face à l'avenir, car la situation ne pourra pas être pire qu'auparavant. Le peuple a trop travaillé pour obtenir sa Révolution, des changements doivent maintenant se produire » conclu Adib sur une note confiante.
Conscients de la pente abrupte qu'ils ont à surmonter afin d'obtenir un siège à l'élection, les deux candidats maintiendront leur rythme de campagne effréné et continueront de distribuer des autocollants en forme d'oeil, le logo du parti, jusqu'à la toute fin. Même si leurs chances de succès demeurent modestes, il sera intéressant de surveiller si la vision de Regards Vigilants parviendra à causer une surprise en se frayant un chemin jusqu'à la Constituante.

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